Description
La victime fut enterrée « sans sacrements », c’est-à-dire sans avoir pu recevoir le sacrement d’Extrême Onction, ayant été tuée par l’animal avant l’arrivée du prêtre. On relève toutefois sur la consignation de sa mort par le curé de la paroisse la mention qu’elle fut victime de la bête féroce, ce qui suggère qu’elle ne fut pas la première victime réelle mais seulement la première déclarée… Suivra un carnage qui va terroriser la région pendant trois ans…
Certains supposent (sans qu’aucune preuve ait pour le moment été apportée) qu’un homme avait dressé un ou plusieurs animaux issus de croisements entre des chiens et des loups en leur apprenant à se nourrir de chair humaine. Certains indices pourraient laisser penser que cet homme ou ces hommes auraient été des détraqués sexuels (selon des témoignages non officiels, la « bête » a déshabillé certaines de ses victimes). Plusieurs cas de décapitation sont rapportés. Parmi les suspects figure une famille défavorablement connue dans la région, les Chastel. L’emprisonnement des Chastel (de courte durée, pour des motifs d’outrage aux autorités venues chasser la bête) n’eut cependant aucune incidence notable sur les attaques.
D’autres hypothèses évoquent plus simplement un ou des animaux sauvages : loups, hybrides de loups et de chiens, hyène, ours, lion, singe, échappés des mains de leur conducteur. À moins que certains criminels n’aient profité des circonstances pour mettre leurs propres crimes sur le compte d’animaux.
Devant l’ampleur de l’affaire, les autorités se décidèrent à faire appel à divers chasseurs afin d’organiser des battues auxquelles participa de plus en plus de monde. Dragons, louvetiers et porte-arquebuse du roi se succédèrent alors pour « courir sus à la Bête qui mangeait le monde ». Les résultats furent, à tout le moins, décevants, malgré les continuelles battues (celles de 1765 comptèrent jusqu’à trente mille personnes, paysans pour la plupart).Il faudra attendre le 20 septembre 1765 pour qu’un grand loup soit abattu par le porte-arquebuse du roi, François Antoine (souvent dénommé, par erreur, de Beauterne). La « Bête », ou du moins ce qui en tenait lieu puisque l’animal tué était bien un loup, fut naturalisée et envoyée à Versailles et déposée au Cabinet du Roi, futur Muséum national d’histoire naturelle. Pour le roi Louis XV et la Cour, l’affaire était close. Or, les attaques reprirent en décembre 1765. Les autorités se désintéressaient alors de l’affaire, concluant à des coïncidences. Le pays du Gévaudan allait devoir vivre presque encore deux ans avec « sa Bête », celle-ci ne faisant toutefois, officiellement, « que » six morts en 1766 et dix-huit durant les six premiers mois de 1767.
Enfin, le 19 juin 1767, au cours d’une chasse commanditée par le marquis d’Apcher dans les bois de la Ténazeyre, au lieu-dit la Sogne d’Auvers, c’est Jean Chastel (lequel avait été précédemment emprisonné ainsi qu’il a été dit), un homme du hameau de la Besseyre-Saint-Mary, qui abat un animal ressemblant à un loup d’une taille très importante. Par la suite, des romans relatèrent l’histoire, disant cet homme étrange et le soupçonnant de sorcellerie, lui faisant employer une balle bénite. Il est, néanmoins, avéré que les agressions cessèrent à compter de cette date.
Outre le fait que la Bête ait fait un nombre considérable de victimes, de nombreux détails la concernant sont curieux :
Sa nature morphologique : c’est très certainement un canidé, mais d’aspect inhabituel. Il pourrait s’agir d’un hybride de chien et de loup (cf rapport du notaire Marin, rédigé dans les heures qui ont suivi la mort de la Bête). Il faut noter que de nombreux témoins, accoutumés à la présence de loups dans leur campagne, n’ont pas reconnu dans cet animal un loup, mais l’ont directement dénommé sous le terme bestia, « la bête » en langue d’oc.
Sa relative invulnérabilité : le manque d’efficacité des armes a fait supposer qu’elle a pu porter une cuirasse en peau de sanglier, comme en portaient les chiens utilisés à la guerre jusqu’au début du XIXe siècle. Le poil de sanglier, appelé « la bourre », très dru et serré, est une protection très efficace y compris contre les balles. Un autre élément pèse en faveur de cette hypothèse : parmi les éléments descriptifs qui reviennent dans les témoignages, se trouve celui d’un pelage comportant une raie noire tout le long de l’épine dorsale. Cet élément, qui n’a pas été observé sur le cadavre de la bête et ne correspond pas au pelage du loup, est par contre caractéristique de celui du sanglier.
Son ubiquité : la bête est aperçue dans un très faible intervalle de temps en des lieux distants de plusieurs kilomètres les uns des autres. Ces distances, bien qu’importantes dans certains cas, restent cependant envisageables pour un seul animal.
Sa familiarité, son audace : elle ne semble pas craindre l’homme. Lorsque la bête rencontre une résistance de la part de la victime ou de ses compagnons, elle s’éloigne « de 40 pas », s’assoit parfois sur le train arrière pendant quelques instants et, si elle n’est pas poursuivie, revient à la charge. Elle s’éloigne du lieu de son forfait au petit trot ou au pas. Au moins vingt-deux fois, des victimes ont été attaquées en plein village et presque toutes les attaques ont eu lieu de jour. Aucun de ces comportements ne correspond à celui des grands carnassiers à l’état sauvage.
Son agressivité : la « Malebête » ne semble pas attaquer uniquement sous l’impulsion de la faim et fait preuve d’un grand acharnement.
Son anthropophagie : si elle attaque aussi des animaux, elle ne s’en nourrit pas alors qu’elle dévore ses victimes humaines.
Son agilité : exceptionnelle aux yeux des témoins.
La mise en scène humaine dans certains meurtres : victimes dénudées dont les habits, non déchirés, sont disposés à distance (selon des sources non officielles ni authentifiables) et décapitations(la tête tranchée net), pratique jamais observée par les étologues sur les grands carnivores (loups, lions, etc.).
Quelques indications mènent à la famille Chastel. Les deux fils de Jean Chastel ont acheminé deux gardes-chasse à une fondrière où ceux-ci ont failli trouver la mort, tandis que les deux frères les regardaient sans se porter à leur secours et même en se moquant d’eux. Le père a d’ailleurs été incarcéré suite à cet événement. Jean Chastel pourrait même avoir planifié la mort de la bête : selon la tradition, il avait fait bénir les balles avec l’une desquelles il a tué la bête le 19 juin 1767. Il a même prétendu avoir fait fondre des médailles saintes pour confectionner les balles dont il se serait servi. Quoi qu’il en soit, l’animal a été tué par le devant, dans des conditions tendant à faire penser que le monstre était familier avec son chasseur. De plus, sa mort est censée être la conséquence d’une battue qui aurait eu pour site les bois de la Ténazeyre et qui rassemblait 12 hommes, dont le père Chastel. Or, ces bois, dont la superficie est déjà très grande, font partie de l’immense forêt qui entoure le Mont Mouchet, la forêt de la Margeride. Ainsi, même si cette forêt était à l’époque moins dense et étendue qu’aujourd’hui, la probabilité qu’un animal aux abois se fasse prendre dans les mailles du filet d’une battue aussi modeste sur une superficie aussi importante est à peu près nulle.
Une indication pour une connexion possible entre cette bête et un maître est le fait qu’elle ait échappé aux gigantesques battues de l’an 1765.
Malgré le fait que les sources d’époque soient parfois peu fiables ou mal interprétées, notamment sur les lieux et les scènes exactes des carnages, un certain nombre de points obligent à privilégier un faisceau de probabilités qui dessinent un tableau s’approchant sans doute de la réalité.
L’hypothèse surnaturelle n’est pas prise en compte.
Les agressions ne peuvent pas toutes être l’œuvre d’un homme (toutes les personnes ayant survécu à une attaque ont décrit un animal dans les témoignages authentifiés).
Il semble que les agressions ont diverses origines : attaques classiques de loups, mais surtout attaques d’une bête particulière. On ne peut évidemment exclure, mais cela n’est pas prouvé, des attaques d’un ou de plusieurs criminels profitant du contexte.
L’hypothèse d’une mise en scène dans le cas de la bête tuée par François Antoine est possible, mais non prouvée par les documents d’archives. Par contre, l’utilisation d’un loup de taille spectaculaire (amené du zoo de Paris) ne repose que sur des conjectures sans preuves. En effet, le zoo de Vincennes est né de l’exposition coloniale de 1931 et la ménagerie du Jardin des Plantes n’a vu le jour que sous Napoléon Ier.
La bête tuée par Jean Chastel pourrait avoir été un animal apprivoisé et entraîné à tuer, selon certaines théories ; en tout cas, sa description est, de toute évidence, celle d’un canidé.
Aucune preuve ne permet d’accuser la noblesse locale qui aurait couvert ses agissements.
L’usage du terme « bête » (au lieu de « loup ») par certains témoins, alors que cet animal bien connu dans les campagnes de l’époque aurait dû être identifié sans conteste, est plus que troublant. De plus, les loups chassent généralement en meute, et il est admis par les spécialistes que les attaques de loups contre des êtres humains sont très rares. Le loup, même affamé, craint en effet l’humain, surtout s’il est seul face à lui.
Le fait que toutes les victimes n’ayant pas réchappé aux attaques aient été des femmes et des enfants, s’il peut de prime abord faire penser à l’œuvre d’un tueur sadique, s’explique sans doute par les circonstances de l’époque : ces victimes – souvent très jeunes – gardaient seules les troupeaux et constituaient donc des proies plus faciles que les hommes travaillant, eux, la plupart du temps en groupe et munis d’outils (faux, fourche, hache, …) pouvant aisément se transformer en armes de défense.
Quoi qu’il en soit, Jean Chastel a tué une bête reconnue comme étant LA Bête par de nombreux témoins, y compris des rescapés d’attaques, dont la description mentionne qu’elle fait penser à un loup mais n’en est pas un, et les attaques ont cessé à compter de ce moment.
Pourtant, en 1819, dans un petit fascicule vendu un franc au Jardin des Plantes, on pouvait lire : « Description de ce qu’il y a de remarquable à la Ménagerie et au Cabinet d’Histoire Naturelle, concernant la vie et les habitudes des Animaux féroces qui sont renfermés tant à la Ménagerie que dans la Vallée Suisse : Suivie des Curiosités qui se trouvent au Cabinet d’Histoire Naturelle. Imprimerie J. MORONVAL, Paris, 1819. » aux pages 5 et 6 : « 5. La Hyenne barrée d’Orient.- … Ce féroce et indomptable animal est rangé dans la classe du loup cervier ; il habite l’Égypte, il parcourt les tombeaux pour en arracher les cadavres ; le jour, il attaque les hommes, les femmes et les enfants, et les dévore. Il porte une crinière sur son dos, barrée comme le tigre royal ; celle-ci est de la même espèce que celle que l’on voit au cabinet d’Histoire Naturelle, et qui a dévoré, dans le Gévaudan, une grande quantité de personnes ». Ce petit fascicule est toujours consultable à la Bibliothèque Centrale du Muséum National d’Histoire Naturelle, 38 rue Geoffroy Saint Hilaire Paris 5 où il est archivé sous la cote : 8° Rés. 48.
L’hypothèse de la hyène ne mène cependant nulle part : la bête tuée par Jean Chastel, qui était bien celle identifiée par les survivants des attaques, a été autopsiée. Or la lecture des rapports d’autopsie du notaire Roch Etienne Marin, au regard de la denture de l’animal abattu, fait formellement exclure qu’il puisse s’agir d’une hyène.
L’aspect, la férocité et « l’intelligence » (rares sont les êtres vivants qui tuent autrement que pour se nourrir), et le fait que la bête ne semble pas craindre l’homme pourraient faire penser au glouton. Mais il est difficile de retenir cette hypothèse. Un adulte mesure 45 centimètres au garrot et pèse entre 15 et 28 kilos, loin de la description de la Bête. De plus, son aspect est celui d’un petit ours et non d’un canidé. Appartenant à la famille des belettes, il possède 38 dents.
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